Gwenc'hlan Le Scouëzec Arthur, roi des Bretons d'Armorique Le roi des Pierres

ARTHUR, ROI DES BRETONS D'ARMORIQUE

Arthur du Huelgoat

Nous avons reconnu dans la région de l’actuel Morbihan, un remarquable Pays des Pierres. Il est loin d’être le seul, non seulement dans le monde occidental, mais même dans dans la Bretagne Armoricaine. Mentionnons la haute citadelle naturelle, parsemée de boules de granit et de menhirs, sorte de château d’eau de la péninsule bretonne, qui s’ordonne autour de Maël-Pestivien, écoulant certaines de ses rivières à travers les chaos granitiques du Korong et de Toul-Goulig

.Citons surtout la vaste étendue couverte de blocs siliceux, triplicité agglomérée de feldspath, de quartz et de mica qui s’amassent en châteaux fantastiques ou se dispersent en monstres de roche à travers les bois, les vallées et les crêtes du Huelgoat. Là, dominant tous les environs, des hauteurs de Tuchen Gador et de Roc’h Trevezel, au-delà des fondrières du Yeun Ellez où s’ouvrent les Enfers, jusqu’aux cimes des Montagnes Noires où défilerait parfois l’armée mythique des Bretons, à moins que ce ne soit la Chasse Arthur, se dresse le plus puissant oppidum de la presqu’île armoricaine et il se nomme le Camp d’Artus. Bien entendu, cet Artus sous sa forme romane de cas-sujet, avec son s terminal, n’est point différent de notre Roi : à l’époque moderne, il en est une application littéraire et sans doute romantique. Prosper Mérimée, qui visita les lieux en septembre 1835 et les a signalés dans ses Notes d’un voyage dans l’ouest de la France, les désigne mieux comme le camp d’Arzur et il entend bien ce mot comme la forme bretonne d’Arthur, même s’il y voit, à la mode de son temps, une corruption du français. Et il ajoute d’ailleurs avec perspicacité : Ce mot est d’autant plus remarquable que les paysans bretons d’aujourd’hui me semblent beaucoup mieux connaître César qu’Arthur, leur compatriote, et le héros de romans inventés, dit-on, dans leur pays.

Quoi d’étonnant à ce que le nom d’Arthur s’applique à une véritable Citadelle des pierres, dans le domaine du plus beau chaos d’Europe ? Ne s’agirait-il pas, à la lumière de ce que nous venons de dire de la capitale même du Roi Arthur ? Et ceci ne nous conduit-il pas à une conséquence imprévue : Arthur était-il un Osisme ?  un Vénète ? Mieux encore : l’époque d’Arthur n’est-elle pas de beaucoup antérieure à l’arrivée des Saxons dans l’Occident celtique ? Ne se rattacherait-elle pas aux temps néolithiques des bâtisseurs de tumulus dolméniques, à l’équivalent armoricain en somme de ces Tuatha Dê Danan, dont nous avons déjà évoqué la trace ?

Car enfin, la principale civilisation des pierres que notre continent ait connue, correspond bien à l’âge que les archéologues ont appelé d’abord de la pierre polie, puis néolithique : non content de fabriquer des outils et des armes dans ce matériau, les hommes en ont alors érigé des flèches, constitué des mottes, échafaudé des tombeaux. Le chaos et les blocs épars qu’on rencontre à chaque pas au Huelgoat remontent à une érosion d’âge géologique : ils étaient là dès le paléolithique. Les mégalithes armoricains, et parmi eux le menhir de Kerampeulven en Berrien qui semble montrer l’entrée du Camp d’Artus, appartiennent aux millénaires antérieurs à notre ère. Les uns comme les autres apparaissent comme les répondants d’un dieu des pierres et celui-ci ne pourrait avoir de plus beau nom qu’Arthur. Notre héros n’aurait-il pas été un roi — ou le nom d’une dynastie — préhistorique de l’Armorique ? N’aurait-il pas acquis dès lors sa stature mythologique, quitte pour lui à revenir, à l’occasion, à l’aide de ses descendants, lors des catastrophes nationales  par exemple ?

Peut-être faut-il placer parmi ces hypostases, le personnage de saint Armel : Arthur ne serait-il pas le même que cet Armel presque homonyme ? Quoi de plus adapté que la dénomination de Plouarzel — Ploearzmel en 1330 — paroisse  effectivement de la Grande Pierre, puisque sur le territoire de la commune, ainsi que nous le disions plus haut, s’élève jusqu’à neuf mètres au-dessus du sol, le plus haut menhir de la civilisation mégalithique ? Et si l’on se remet en mémoire le sens de ces masses, taillées pour s’enter dans le paysage, la volonté d’offrir un corps dans notre univers aux ancêtres qui peuplent l’Autre Monde, mais ont besoin d’une demeure en celui-ci, ne dirait-on pas que le Seigneur de Kerloas n’est autre qu’Arthur lui-même ?

 Le seul fait de porter une dénomination à la fois archétypique dans son fondement et archaïque dans sa forme multiplie les possibilités de la rencontrer dans les régions les plus diverses. Que des Irlandais et des Gaëls d’Ecosse se soient ainsi appelés aux VIe et VIIe siècles de notre ère, qu’un général romain, dès le IIe  siècle, ait porté ce nom à la tête de la Légion Victorieuse des Armoricains, qu’un Breton de l’Ile désigné de même se soit empoigné, au VIe siècle, avec un compatriote, un certain Medraut, dont on dira plus tard qu’il lui avait pris sa femme, tout cela ne saurait surprendre dans la mesure où ces faits divers se déroulent sur le territoire des Grandes Pierres, lequel s’étend des Orcades à Tamanrasset et du Shannon au Danube Gwenc'hlan Le Scouëzec Arthur, roi des Bretons d'Armorique Le roi des Pierres


 Retour au Hüelgoat : Ambroise Merlin

Bien des choses restent à éclaircir. Si Merlin en effet n'est autre que Sucelos, nous devrions le rencontrer par excellence dans les lieux qui en Armorique sont synonymes de Passage, à savoir la « Porte des Enfers », traditionnellement située dans le Yeun Elez, ces tourbières de Brasparts qui jouxtent la forêt du Hüelgoat, et dans celle-ci, le Gouffre d'Ahès où nous avons vu le nombril de Vorganium, la Gibel de Morgane.

Outre le fait que la mine et ses environs soient aujourd'hui situés en plein bois et s'accomoderaient assez bien d'un Merlin Sylvestre, il existe en Locmaria-Berrien, c'est-à-dire sur l'ancien territoire de Berrien-Vorganium, entre les rives du Beurc'hoat, les bords de l'Aulne et la rivière d'Argent, une chapelle curieusement dédiée à Saint Ambroise. Elle a transmis cette appellation non seulement au village dans lequel elle s'élève, mais encore à toute la forêt domaniale qui continue ici celle du Huelgoat.

Le nom est exceptionnel. A notre connaissance, il n'y en aurait pas d'autre en Bretagne placée sous l'invocation de l'évêque de Milan. Mais au fait, s'agit-il bien de ce pontife italien, si illustre soit-il, parachuté, comme nous dirions aujourd'hui, entre Pont ar Gorret et Ti ar Gall, sur les flancs de Creac'h Merrien ? Nous connaissons un autre Ambroise, celui-là même qui, selon Nennius, fut découvert par les envoyés de Vortigern, et que Geoffroy de Monmouth baptisa de surcroît du nom de Merlin. Qu'il fut saint, au sens que les Chrétiens donnent à ce mot, c'est assez peu probable, mais on a sanctifié tant de personnages qui sentaient le fagot, que celui-ci a bien pu se retrouver saint Ambroise, simplement pour préserver son culte ancien sous les couleurs du nouveau. Gwenc'hlan Le Scouëzec Arthur, roi des Bretons d'Armorique Le roi des Pierres

Retour au Hüelgoat : le porteur du maillet sacré

Et d'abord, quoiqu'elle paraisse à première vue limpide, l'appellation même de Huelgoat. De uhel, haut et koad, bois, le mot, construit à l'antique, l'adjectif avant le nom, signifierait tout simple­ment le Haut-Bois. Il est vrai que Uhel s'est écrit et prononcé à l'époque moderne, Huel. Nous remonterions donc à un celtique Uxelloceton.

La plupart des cartes et des textes vont dans le même sens. Le Corpus d'Erwan Vallerie donne 22 formes anciennes, de 1288 à 1731 : on y trouve des archaïsmes comme -coyt pour bois, des uhel- et des huel, voire un Hel- et un Vuhel-, l'article français même (Le Huelgoit) à partir de 1630. En breton d'aujourd'hui, la version officielle retenue par le Conseil Général du Finistère dans les définitions du bilinguisme, dit An Uhelgoad.

En toponymie toutefois, surtout dans les lieux riches en histoire antique, de claires interprétations masquent souvent des termes devenus incompris ou volontairement déformés : c'est le cas, sous l'influence du Christianisme, des noms de divinités ou des traces d'anciens cultes. Sur un site aussi prestigieux que celui de Vorganium, il reste à démontrer qu'un toponyme important puisse signifier une réalité aussi commune que le Haut-Bois.

En fait, il y a quelques failles à la belle unanimité des témoignages concernant  Le Hüelgoat. Le Président de Robien, vers 1750, écrit Halgoët, se rapprochant du Helquoit de1373. A la même époque (1751), la carte de Robert donne Heallegoit. Cela nous écarte quelque peu du sens ordinairement donné au mot. Si de telles formes ne contiennent pas l'idée de hauteur, en des temps où la compréhension du breton était générale, c'est qu'elle n'apparaissait nullement évidente aux yeux des contemporains.

Mais voici plus prégnant : la Carte de Tavernier de 1620 écrit au-dessous de Berrien et à côté de la forêt, Sualgoit. Pour juger de l'intérêt de cette écriture, il faut savoir que le S initial du celtique s'est habituellement transformé en H en breton. Dans ces conditions, Sualgoit apparaîtrait bien comme l'ancêtre de Huelgoat, fossilisé en quelque sorte comme il arrive souvent en toponymie. Mais alors les deux premières syllabes du mot ne peuvent signifier la notion d'élévation, laquelle se dit Uxellos en celtique, d'où exactement uhel en breton..

La mention deTavernier, à une époque où des archaïsmes se manifestaient encore dans la langue, a l'intérêt de susciter plusieurs idées sur la constitution du toponyme. D'abord, le H de Hüel serait bien à sa place et il ne serait pas nécessaire, pour justifier l'orthographe moderne, d'invoquer le déplacement de cette lettre de la médiane à l'initiale, de Uhel en Huel. Il proviendrait ensuite, comme nous venons de le dire et comme il est de règle en breton, d'un S celtique. Enfin, les deux voyelles U et A, se trouvant, dès le moyen âge, au contact l'une de l'autre, évoquent la chute probable d'une consonne situées entre elles.

Ceci nous conduirait à un celtique hypothétique

Su + consonne+ al (ou el) + o final + ceton (bois)

La consonne disparue peut ordinairementdans cette situation être un D, mais un G qui, d'abord aspiré en H, est ensuite annulée dans la prononciation. Un tel raisonnement nous conduit donc sans heurt à un celtique *Sugeloceton .S'il est impossible de démontrer que c'est là l'équivalent d'un *Sukeloceton, il n'en reste pas moins que la suggestion est troublante

.Quant au nom propre du Géant de Huelgoat, tel qu'il a été transmis par la Légende locale, c'est Hok Bras, c'est-à-dire Hok le Grand. La même règle d'évolution phonétique que précédemment nous permet de penser qu'il s'agit d'un Sok, voire d'un Suk, ce qui nous rapproche considérablement de Sukelos dont seule la première syllabe aurait été conservée.

La probabilité d'une présence de Sukellos au Huelgoad se trouve renforcée par le fait qu'aux portes même de la Ville, on entre dans le Monde d'en-bas. En remontant la petite vallée du Fao qui prend sa source dans les marais du  Roch ar feuteun près de Tredudon sur quelques kilomètres, on parvient à Brennilis et au Marais de Brasparts, celui qu'on appelle le Yeun Ellez et qui est traditionnellement la Porte des Enfers et le domaine de l'Ankou. Là s'ouvre le Youdig, l'abîme sans fond par lequel notre monde communique avec celui des divinités chtoniennes : c'est là qu'un recteur très spécial jetait naguère sous l'apparence d'un chien noir, les âmes dont on voulait débarasser notre univers. Ce faisant, il n'agissait pas autrement que la Princesse Ahès au Gouffre du Hüelgoad ou que les druides de Manchester à Lindow . Gwenc'hlan Le Scouëzec Arthur, roi des Bretons d'Armorique Le roi des Pierres


 Le Camp d’ Arthur

L'intérêt que suscite pour la compréhension delà tradition arthurienne, la région de Huelgoat, nous porte maintenant à rassembler les données que nous possédons sur l'antiquité de ce pays. A l'époque où César vint en Gaule, il était occupé, ainsi que toute la partie la plus occidentale de la péninsule armoricaine, par un peuple appelé Osismien.

Les Osismes nous sont moins bien connus que leurs voisins, les Vénètes, mais nous savons qu'à la fin de l'indépendance gauloise, ils appartenaient les uns et les autres à la fédération armoricaine. Les historiens modernes ne sont pas assurés de leur origine. On ignore en fait s'ils appartenaient aux Celtes qui avaient envahi l'Occident dans le millénaire précédent notre ère, ou bien s'il s'agissait d'autochtones plus ou moins celtisés au contact de ceux-ci.

Ptolémée les mentionne, au premier siècle. Avant lui, Strabon et, bien sûr, César en avaient parlé. Pytheas, qui vint de Marseille dans leurs parages, au IVe siècle avant Jésus-Christ, à la recherche de l'étain, les appelle Ostimiens ou Timiens. Il avait appris à connaître chez eux le Kabaion ou promontoire de Gobaion, notre moderne Pointe du Raz. C'était l'Oestrymnide d'Avienus.

Leur capitale, aux dires de Ptolémée encore, au deuxième livre de sa Géographie, se nommait Ouorganion, mais comme toujours, les manuscrits varient : on trouve ainsi Ouorganion, Ouorgonium, Ouor-gon, Ouorgion. La ville se trouvait selon les coordonnées de cet auteur, par 17° 40' de longitude et 50° 10' de latitude. La première de ces mesures est aberrante, comme souvent les méridiens des Anciens : l'admettre serait placer l'embouchure de la Loire et notre cité sur la même ligne verticale. La latitude est toujours plus fiable. Dans le sys­tème de Ptolémée, la pointe du Raz (Gobaion Akrotèrion) est à 49° 45' et Brest, que nous identifions à Staliokanos Limèn, à 50° 15'. Dans ces conditions, le parallèle 50° 10' passe sensiblement par Le Hüelgoat. Gwenc'hlan Le Scouëzec Arthur, roi des Bretons d'Armorique Le roi des Pierres


 

Hoël, roi des BretonsArmoricains

Et l'on en vient à se poser des questions, quand au Xlle siècle, Geoffroy de Monmouth, le promoteur de l'histoire arthurienne, nous désigne comme le roi des Bretons Armoricains au Vie siècle, un certain Hoël, dont il attend d'ailleurs une aide puissante pour la délivrance du joug saxon. Ce nom, porté effectivement par plusieurs rois de la Bretagne cismarine, ressemble étrangement à Huel : ne représenterait-il pas, dès l'époque du vieux-breton, la forme prise par le celtique Sukelos ?

De fait, nous connaissons historiquement deux ducs de ce nom, au Xlle siècle, et, antérieurement plusieurs princes du même nom. Pour Geoffroy, Hoël, roi des Bretons Armoricains, est le neveu d'Arthur, fils de sa soeur l'auteur ne dit pas laquelle et de Budic d'Armorique. Sa place dans les conquêtes arthuriennes, nous l'avons vu, est très importante. Mais rien ne permet d'en faire une figure mythologique et d'ailleurs il est absent des romans. Que son nom soit celui de Sukellos n'empêche pas que la vraie figure du Porteur de Maillet au Moyen-Age soit celle de Merlin.

Ajoutons que Hoël est donné par Wace comme le fils d'Anna,soeur d'Arthur. Gwenc'hlan Le Scouëzec Arthur, roi des Bretons d'Armorique Le roi des Pierres


Merlin est-il l'Ankou ?

 

A vrai dire, il ne s'agit point là du personnage terrible que la croyance christianisée et plus ou moins marquée par les terreurs de l'enfer, mais aussi par les guerres et la peste, fera apparaître au XVe siècle. Pour l'instant, nous sommes en présence du magicien, maître des « Secrets », c'est-à-dire des clefs de l'Autre Monde, qui voisine dans le bois de Sukellos,avec la Cuve de la géante, lieu de passage par excellence

.L'un de ses avatars est le Grand cerf : il est donc la promesse d'une vie qui ne cesse de se renouveler, non point résurrection au sens chrétien du terme, non point réincarnation, mais transformation, métamorphose.. Nous jugerons, quand nous parlerons du Graal, de l'importance du mythe.

De fait, il est en relation étroite avec le Ker Mell et la Kroaz Ker Mell, la Croix du Village du Maillet, que nous avons rencontrée, érigée en Plomelin. Et le maillet, notons-le, tel qu'il figure sur les statuettes antiques de Sukellos, a singulièrement la forme d'une croix latine aux bras courts, comme les calvaires monolithiques, antérieurs à l'an mille, qu'on découvre en de nombreux endroits de Bretagne.

Plus tard on représentera l'Ankou comme un squelette armé d'une flèche, puis d'une faux à la manière du dieu Chronos grec et latin, voire d'une houe. Il fauche en effet les vies humaines, comme le blé qu'on doit engranger, il perce les corps, il creuse les tombes pour l'enterrement. Merlin, lui, étourdissait, comme le vin ou la drogue. De même que les noyés d'Ahès, les envoûtés de Merlin changeaient d'états. Pas question de mourir, même pour renaître, mais pénétrer d'emblée dans l'Autre Monde sous la percussion de la boîte crânienne.

Nous savons que les sacrifiés de l'Ile de Bretagne recevaient, avant d'être précipités dans le marécage, un coup sur la région occi­pitale, qui mettait en route la mutation du Passage. Tel était sans doute le rôle primitif du Mell benniged et l'on peut penser qu'au bois de Sukellos, le Merlin d'Ambroise frappait les victimes d'Ahès avant Qu'elles ne soient expédiées dans le monde des eaux souterraines, où, aveuglés aux réalités de notre univers, les yeux s'ouvrent sur d'autres clartés. Gwenc'hlan Le Scouëzec Arthur, roi des Bretons d'Armorique Le roi des Pierres