Le canal inférieur du  Gouffre

rochers  vers le bief du canal inférieur de la mine

Un rocher sur le canal inférieur du  Gouffre

La Bretagne / par M. Jules Janin

Date d'édition  1844

(Extrait sur mon pays)

Carhaix, ville triste, mal pavée, placée entre les montagnes Noires  et les montagnes d'Àrré ; à peine si l’on y sent quelque peu de mouvement et de vie. La gloire de cette ville vouée à l'ennui, c'est d'avoir donné le jour à ce héros, l'honneur des armées françaises, Théophile Malo Corret de Kcrheauffret, ou, pour mieux dire, La Tour d'Auvergne, né dans ces murs le 23 décembre 1743.....

Au sortir de Carhaix, vous traversez la petite rivière J'Hière, et bientôt se rencontre Poulaouën (le village de la peur), situé sur un vaste plateau. Au milieu d'une lande retentissent les fonderies et les machines énormes qui-servent à l'exploitation des mines de plomb argentifère; des roues à l'immense circonférence, à moitié enfouies dans la terre, servent à épuiser l'eau qui suinte dans les profondeurs de la mine. L'aspect de cette plaine est triste, silencieux, monotone; toute l'activité est dans les entrailles de la terre. — Les mines d'Huëlgoat sont voisines de Poulaouën, elles sont plus riches. Cette dernière mine produit annuellement 4,600,000 kilog. de minerai brut, que l'on réduit à 370,000 kilog. de minerai pour la fonte. Huëlgoat occupe une gorge profonde, au milieu d'un site véritablement alpestre. Les montagnes boisées sont couvertes d'édifices perdus dans la verdure; le paysage s'anime du bruit des cascades et de la voix des femmes qui, les bras nus, lavent le minerai en chantant les chansons du pays

.Rien de charmant et de pittoresque comme le sentier qui mène de la mine au bourg de Huëlgoat. Figurez-vous, serpentant le long de la montagne, une chaussée large et bien sablée qui sert à conduire les eaux; ces eaux donnent le mouvement aux machines obéissantes. Au-dessus de votre tète s'élèvent des chênes gigantesques ; l'acacia sauvage, les mélèzes, les frênes, les sorbiers chargés de leurs baies éclatantes forment, de leurs feuillages entrelacés, une voûte impénétrable aux rayons du soleil. Sous vos pieds le sol abrupte se précipite brusquement dans une vallée sonore, profonde, pleine  de grands arbres; à travers le feuillage complaisant, l'œil charmé peut entrevoir mille échappées du ciel, de la lumière et de la terre, des montagnes arides ou boisées, des vallées plantureuses, des rochers énormes, debout comme des fantômes, riche ensemble entremêlé du murmure argentin dés fontaines, que les oiseaux accompagnent de leurs mille, chansons. Et pourtant ce n'est pas encore toute la joie qui vous attend, il est encore d'autres enchantements qui se préparent, des sur­prises nouvelles, des magnificences inattendues, car à la.limite du sentier s'ouvre, béant et furieux, le gouffre du Huëlgoat, dont la cascade écume, éclate, jure et se précipite brisée par les rochers, qui étincellent sous l'effort ; étourdissant pêle-mêle. Du. Bruit qui tombe, de l'écume qui blanchit, du rocher qui tremble, chaos, confusion, merveille, épouvante, attrait tout-puissant de l'inconnu ! Cependant que devient cette onde violente? Où est-il ce torrent qui jetait sa poussière et son bruit jusqu'au ciel? — Soudain tout s'engloutit, tout disparaît, plus rien ne reste de ce bruit, de cette tempête; seulement, à cent pas de là, une source infinie de mille petits ruisseaux limpides, s'en vont chacun de son côté, où le pousse le caprice, où l'appellent la verdure, l'ombre, le repos, la rêverie et le soleil .

Tout-au-dessous de cet abîme, au bord de son bel étang, est situé le bourg de Huclgoat. À quelques lieues plus loin", entre la Fouillée et Gourin, non loin de Saint-Derbot, admirable chapelle perdue au milieu du désert,on rencontre une cascade plus remarquable peut-être que la cascade du lïuëlgcat. Les eaux de l'Ëlcz se précipitent de ces hauteurs dans une étroite vallée; pendant un quart de lieue vous suivez  l'eau bondissante sur son lit de rochers. A chaque pas, dans ces montagnes, la nature change d'aspect : précipices, rochers, sentiers glissants, vallées charmantes pleines de repos et d'ombrage, prairies, métairies, moulins; au fond de la vallée les gras pâturages et les grands bœufs dont il est parlé dans Virgile.Puis, peu à peu, à mesure que s'élève la montagne, paraissent les bruyères, se montrent des ajoncs stériles; la terre est nue, le quartz étincelant a remplace les herbes verdoyantes; parfois, et surtout vers le printemps, sur la pente inclinée de ces montagnes, s'élève une épaisse fumée : c'est le paysan de Bretagne qui brûle les ajoncs dont la cendre servira à féconder la moisson prochaine.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2051002/f1

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Janin

 

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