Après environ une autre heure de marche, nous quittâmes la "grand-route" vers Carhaix sur la droite, et, prenant, la piste qui mène à Huelgoat, nous sommes bientôt arrivés au village de Berrien, qui, avec son église en pierre bien construite, au milieu de son cimetière planté de sapins, représente une oasis d'hospitalité dans ce désert immense de landes . Les paysans ici venaient juste d'attraper une immense loutre, ou "chien d'eau" comme ils l'appellent ici, dans le ruisseau qui coule au-dessous du village; une des sources de l'Avon. le plus joli de tous les noms pour une rivière, que les Français ont massacré en le transformant en "Aulne".

Au-delà, alors que nous approchions de Huelgoat, le pays prit un aspect encore plus sauvage. Les pentes des montagnes se mêlaient à d'immenses masses rocheuses, et chaque chose semblait être le résultat d'une de ces convulsions de la nature, dont on observe si souvent les traces à proximité des trésors minéraux enfouis.

Nous atteignîmes la petite ville vers dix heures; et fûmes assez chanceux pour retenir les seuls lits de l'auberge, tenue par la Veuve Madec, une propriétaire joviale aux formes épanouies, que les passages des étrangers à son auberge, pour venir voir les mines, avaient rendue en quelque sorte plus civilisée que ses voisins. Ma chambre à coucher était éclairée et aérée presque autant par l'énorme cheminée que par la petite fenêtre, aussi n'y avait-il pas d'odeur.

Cependant l'escalier en colimaçon, par lequel il fallait monter pour accéder à la chambre ,un endroit à se rompre les reins, était fait d'une combinaison de poutres de bois aussi solides que possible, assemblées avec ingéniosité. La porte de la chambre était une parfaite illustration de la vis à inertie et manifestait une forte inclinaison, ouverte ou fermée, pour revenir à sa position initiale; bien que ce fut déjà quelque chose de trouver une chambre à l'étage, de plus avec une porte. Même si le plancher de la chambre avait été construit à l'évidence par un charpentier qui n'était jamais sorti de son pays de montagne, et n'avait donc, jamais été confronté à l'idée de surface plane et offrait une couche de saleté d'un pouce d'épaisseur; et bien que le couvre-lit vert n'ait pas été très attirant, je dois confesser que les draps, aussi grossiers que la toile de voile d'un homme de troupe, étaient propres. En effet, dans ce pays, sale par excellence, je n'ai jamais trouvé à me plaindre à cet égard; ce qui n'est pas le cas en Allemagne, où les draps propres étaient considérés comme un service supplémentaire et payés en tant que tels.

Dès que nous avons été assurés de notre couchage pour la nuit, nous nous sommes mis en quête du déjeuner; et fûmes particulièrement séduits, après la promenade de vingt quatre miles, par la promesse de la Veuve Madec d'un "biftec" et d'une truite, poisson qu'il y avait en abondance dans la rivière. Etant un peu fatigués, et, peut-être, quelque peu angoissés quant à l'aspect des nourritures qui nous étaient promises, nous nous installâmes dans la cuisine pour y observer leur préparation avec tout l'intérêt que cela méritait. J'aimerais après cela particulièrement mettre en garde tout voyageur passant en Bretagne. Une telle curiosité ne peut être que source de déconvenue pour l'estomac de l'homme et pour la vanité de l'intrus. Un homme n'a rien à faire avec la nourriture tant que celle-ci n'est pas arrivée devant lui sur la table. S'il peut l'avaler sans dégoût, qu'il le fasse et qu'il soit alors reconnaissant. Il est toujours souhaitable de garder l'esprit libre de tout préjugé. Mais, par-dessus tout, ces préjugés seront particulièrement mal venus s'il conduit un homme à se quereller avec son repas de dix heures, quand il est à jeun depuis cinq heures. Je ne dirai pas tout ce que j'ai la truite furent déclarés "prêts", j'avais cessé de l'être pour ma part; et je ressentis très peu l'envie de m'occuper d'eux.

Après cette malheureuse et avortée tentative de petit-déjeuner, nous nous levâmes pour marcher vers la cascade de saint-Derbot, un coin de la région dont nous avions entendu vu dans la cuisine de la veuve Madec. Quand les biftecs et parler à Morlaix, désirant réserver un jour entier pour la mine, quand nous serions sûrs de pouvoir descendre frais et reposés.

La marche jusqu'à Saint-Derbot est très belle, suivant d'abord un chemin en hauteur, d'où il est possible d'avoir une vue dégagée sur tout le pays, sur la lande et la forêt, avec les flèches d'un ou deux villages à quelque distance et la tour de Carhaix sur sa morne colline dans le lointain. Nous sommes alors descendus dans une petite vallée romantique, encaissée entre ses versants raides, et à l'écart au milieu de ces montagnes sauvages. Nous l'avons suivie jusqu'à ce que soudainement l'église grise de Saint-Derbot soit en vue, confortablement installée dans une clairière du bois de chêne qui couvrait la colline au-dessus d'elle.

Deux autres petites vallées débouchent aussi dans le même lieu, et le murmure éloigné d'une chute d'eau nous a mis sans aucun doute sur le chemin à suivre pour arriver au but de notre visite. Les bords de cette vallée s'arrêtèrent rapidement devant nous alors que nous avancions, et le bruit d'eau devint plus clair et fort. L’espace entier entre les montagnes était occupé par des bois épais, entre lesquels la rivière cherchait son chemin en plusieurs petits ruisseaux. Nous avons suivi un de ces derniers, sautant de pierre en pierre au milieu du lit rocheux, et maintenant nous frayant notre chemin parmi les taillis des rives, les bois ou l'eau nous ayant semblé des obstacles plus difficiles. Le ruisseau devint bientôt un rapide, éclaboussant tous les rochers qui se mettaient sur son chemin; un peu plus haut nous retrouvâmes   les   différents   ruisseaux   réunis et, quelques cent yards plus loin, le pied de la chute d'eau.

D'abord nous avons été déçus, car, bien que la scène soit sauvage, pittoresque et romantique, la cascade en tant que telle n'était pas impressionnante. Mais, pendant que nous avancions, les choses se sont améliorées et nous avons dû admettre que la chute d'eau de Saint-Derbot correspondait assez justement à ce que nous avions entendu dire d'elle. Il n'y a cependant pas là d'eau tombant d'une hauteur impressionnante, mais une succession de petites chutes, de torrents, et de rapides, en très grand nombre et de toutes formes, que la rivière fait en cherchant son chemin 'en descendant de très haut à travers une gorge remplie d'énormes blocs de rochers; le spectacle valant largement celui d'une chute d'eau verticale.

Nous observâmes à un endroit que la force d'un mince filet d'eau, tombant de quelques pieds, était parvenu à creuser dans la roche une cavité presque circulaire de quatre pieds de profondeur et de. dix huit inches de diamètre.

Le spectacle doit beaucoup à la forêt qui couvre les alentours, essentiellement composée de chênes. Le vieux bras de bois mort d'un ancien géant de la forêt passait au-dessus du torrent dans un geste qui semblait désigner ces intrus que nous étions dans ce monde perdu d'ombres. Mon compagnon voulut absolument en faire une étude et pour cela s'installa sur un rocher au milieu du torrent alors que j'allais du côté des chutes, m'amusant à jeter dans le vide les pierres que je parvenais à déplacer.

Quand le croquis fut terminé, nous continuâmes notre randonnée vers l'amont, escaladant et sautant de roches en roches avec de plus en plus de difficultés alors que la taille des rochers devenait de plus en plus grosse jusqu'à atteindre tout en haut une dimension prodigieuse. Au sommet, au milieu d'une mer de rochers, perchés sur l'extrême bord d'une falaise qui surplombait  le torrent,  nous  découvrîmes  un petit moulin incroyablement pittoresque. Dans l'ombre de l'épaisse forêt qui l'entourait, recouvert d'un lierre luxuriant et plus petit en proportion que la plupart des masses minérales qui l'entouraient, il aurait fait un parfait sujet d'étude pour Ruysdaël. Ici, à nouveau, le carnet de croquis refit son apparition et je fus laissé à moi-même, avec obligation de trouver à m'occuper pendant une heure.

Une fois l'heure passée, il était trop tard pour poursuivre notre randonnée plus avant; bien que tout ce que nous voyions du cours de la rivière en amont nous y incitait. Les bois faisaient place aux rochers qui continuaient à accompagner la rivière vers une lande des plus désolées. Il n'était pas question de beauté, au-delà de ce point que nous avions atteint; mais l'extrême sauvagerie et aridité des lieux me fit hésiter à pénétrer plus loin dans ce coin perdu des montagnes où cette rivière chargée de mélancolie prenait sa source; et pour découvrir quelle autre désolation encore plus grande il pouvait exister à la source d'une rivière qui apportait avec elle, aussi près des habitations des hommes, une si profonde tristesse.

Mais, alors que nous aurions dû passer, selon toute vraisemblance, la nuit dans les montagnes, ce qui sous-entendait d'avoir à faire face à plus de désagrément que je n'en pouvais supporter, nous abandonnâmes ce projet pour retourner à Saint-Herbot, par un chemin que nous suivîmes sur les hauteurs de Huelgoat, un chemin très différent de celui que nous avions emprunté le matin à l'aller.

A notre arrivée à l'auberge nous trouvâmes la veuve Madec assistée d'une grand-mère, une vieille dame très active et alerte, de presque cent ans, qui ne pouvait lire sans lunettes, et avait soixante descendants, préparant le souper pour quatre ou cinq employés de la mine. Aussi nous demandâmes que notre repas soit ajouté au leur, mais sans cette fois montrer la moindre curiosité quant à sa préparation. La tablée réunissait un Allemand, employé comme chimiste à la mine, un vieil homme qui ressemblait à un paysan, mais qui était en fait un gentilhomme assez peu conformiste  passant ses journées à boire, comme il me fut rapporté, et vivant sur sa propriété qui consistait en une partie de la mine et deux autres personnes, des surveillants.

Le dîner avec ces compagnons fut des plus plaisants et après nous acceptâmes de prendre un vin chaud avec eux, l'hôtesse ayant la réputation de savoir le faire d'une manière particulièrement remarquable. Le vin servi, il fut trouvé excellent; et il commença à faire son effet en lançant la discussion entre les personnes du groupe. A ma grande surprise, cela se transforma en une dispute sur qui comprenait le mieux le latin. Il semblait avoir tous quelques notions, à l'exception du propriétaire qui ne connaissait que quelques mots mais qui cherchait à cacher son ignorance. Il était la cible de tout le groupe; et, le vin chaud aidant, l'affaire devint vite confuse. L'Allemand, qui avait fait le plus d'études, le mit au défi de lui répondre en latin, « Du es unus eprius borcus»; ce à quoi le vieux fou répondit sans la plus petite hésitation et avec la gravité de l'ivrogne: « In sascula sasculorum». Cela produisit un énorme éclat de rire de tous les présents, bien que je pense que les deux autres ne devaient pas comprendre bien plus du latin de l'Allemand que le propriétaire qui était " de la fabrique de l'église", ce qui voulait dire que son latin se réduisait à ce qu'il avait pu picorer en fréquentant les services de la messe. Le succès de sa sortie incita le chimiste allemand à recommencer: « Et bost mortem duam, du ipis at tiapolum. » Mais cette fois, la chance sourit au vieil imbécile, qui se mit à psalmodier sur un mode grégorien, avec un regard d'ivrogne rusé qui pouvait donner l'impression qu'il avait compris le sens des paroles qui lui avaient été adressées :« Et cum spiritu tuo. » Je fus  tellement amusé par cette répartie involontaire que j'éclatai de rire, provoquant la colère de l'Allemand.

Quelques compliments sur ses connaissances scolaires et une conversation sur l'Allemagne refirent de nous les meilleurs amis et il m'invita à venir chez lui à la mine où il voulait, dit-il, me montrer le traitement de séparation de l'argent du minerai qui le contenait, ce qui était sa spécialité. Nous acceptâmes son invitation en le remerciant et convînmes d'être chez lui vers six heures le lendemain matin, l'heure à laquelle commençait le travail chaque jour.

Nous quittâmes l'église afin de voir une étrange grotte romantique appelée "Le Ménage de la Vierge", avec une énorme pierre branlante. Ce "ménage" ressemble au gouffre dont nous avons parlé auparavant. Mais dans ce cas, il est possible pour un bon escaladeur de monter et de descendre dans le gouffre et de trouver son chemin grâce au cours du ruisseau en bas. Ici cependant, le fantastique chaos de rochers apparaît non pas dans la vallée mais au flanc de la colline ; et l'eau qui coule au fond doit trouver son chemin dans les rochers pendant un assez long chemin. Le ruisseau passe de la caverne à une sorte de gorge qui s'ouvre à cet endroit et qui est remplie d'un empilement de rochers de granité, comme tous les rochers du district .

La "pierre tremblante" ou"roulers" comme ils l'appellent ici, est une masse énorme de la forme d'un double cube, qui repose sur la roche, s'enfonçant dans la fine couche de sol de telle manière qu'une main suffit à le faire bouger. Proche du "Ménage de la Vierge", elle est le résultat, selon moi, du même bouleversement qui a laissé tant de traces dans les environs. Les spécialistes de l'Antiquité considèrent la chose comme l'action des druides. Ses dimensions sont de vingt-deux pieds de long sur neuf ou dix de hauteur et de largeur. Une des raisons qui me fait croire que ce n'est pas le travail des druides est que les paysans des environs de le vénèrent pas d'une manière ou d'une autre.

Nous retournâmes au "Ménage de la Vierge" le soir sous la lumière de la lune ; c'est le moment idéal pour la voir pour ceux qui veulent la voir "au bon moment"; on a cependant besoin, dans cette lumière d'un bon œil et d'un pied solide. Lorsque qu'on est en  Nous retournâmes au "Ménage de la Vierge" le soir sous la lumière de la lune ; c'est le moment idéal pour la voir pour ceux qui veulent la voir "au bon moment"; on a cependant besoin, dans cette lumière d'un bon œil et d'un pied solide. Lorsque qu'on est en

bas, au bord de l'eau sombre, l'effet des pâles rayons jouant ici et là sur les pierres grises et se reflétant sur la surface de l'eau noire du ruisseau, les ombres profondes des autres parties de la caverne et les renfoncements à peine visibles produisent un effet absolument incroyable. Avec un peu d'imagination et les effets du silence et du calme morbide, on peut ressentir à un certain degré la majesté et la solennité lieu.

La ballade au clair de lune fut aussi admirable, sur la colline silencieuse couverte de ces énormes rochers fantomatiques ; en rentrant, j'étais fâché contre moi de n'avoir pas cru, dans mon humeur terre à terre, que ces énormes masses pouvaient être un vestige du culte de ces prêtres qui auraient choisi ce paysage sauvage comme décor pour leurs mystérieuses pratiques.

Nous avions prévu de passer une autre nuit à Huelgoat. En effet, bien que nos chambres ne furent pas particulièrement attrayantes, nous pensions qu'elles devaient l'être, comparées aux autres de ce district quelque peu sauvage ; ou, autrement dit que nous si nous allions plus loin, nous rencontrerions pire. Nous décidâmes donc de visiter Carhaix lt lendemain puis de retourner passer la nuit à Huelgoat

 

Le journée suivante, nous marchâmes sur une colline, de l'autre côté de la vallée, sur laquelle on trouve encore des restes d'anciennes tranchées et de fortifications, que la tradition des paysans appelle le Camp d'Arthur. C'est une surface assez grande, entourée d'un mur d'une hauteur considérable et d'une forme irrégulière mais tirant sur le carré, dont le diamètre maximal doit être de quatre cents pas. D'un côté se trouve une butte faite par l'homme et on peut y trouver les fondations d'une tour. Au milieu on observe ce qui semble être les restes d'un puits.

Comme le remarque M. de Fréminville, la tour qui a existée ici est une preuve suffisante que ces fondations particulières étaient plus qu'un camp ; En considérant qu'un camp est temporaire et que cette tour devait être un édifice fait pour durer.En ce qui concerne le nom, il n'est pas nécessaire dans ce cas d'invoquer le héros de la Table ronde et toutes les légendes qui lui sont attribuées. Le nom Arthur est souvent cité et les anciens armoricains avaient quantité de chefs qu'ils célébraient. En fait, nombre d'actions et d'aventures prêtées à Arthur devraient être attribuées à d'autres.

Si, cependant, cette fortification devait être de l'âge héroïque de la Bretagne — et ses caractéristiques tendent difficile son association à une autre période — on peut tirer une conclusion très intéressante et originale de son existence ; une conclusion que d'autres vestiges de forts de Bretagne tendent à confirmer : les Bretons devaient avoir, à une époque très lointaine, un système de fortifications bien plus avancé que celui employé dans d'autres parties de la France. En effet, avant le neuvième siècle, presque toutes les fortifications étaient de bois, tandis qu'en Bretagne elles étaient depuis longtemps faites de pierre.

M. de Fréminville est de cet avis et promet de faire une recherche sur le sujet. Il pense que ce "Camp d'Arthur" devait être la résidence d'un de ces chefs bretons du Vé ou Vie siècles, dirigeants de tribus indépendantes qui, en raison de leur pouvoir absolu, étaient appelés Roi par les premiers chroniqueurs, mais dont la vraie désignation dans les nations celtiques était "Jarle". Les Français l'ont mal traduit en "comte" tandis que nous avons préservé l'ancienne appellation dans notre titre "Earl". Ainsi ce Jarle occupait la tour de pierre pendant que ses soldats et ses fidèles habitaient des habitations en bois à l'intérieur du retranchement.

Il y a cependant une autre manière d'expliquer ses anciennes ruines qui ne semble pas être apparue à M. de Fréminville. Pourquoi les travaux de la terre ne dateraient-ils pas de la période des Celtes à laquelle ils se réfèrent et la tour d'une période beaucoup plus tardive ? Nous savons que de petites tours isolées constituaient fréquemment les premières résidences féodales ; et comme c'était évidemment l'objecti principal de les placer à des endroits en position de force et en sécurité, pourquoi n'aurait-on pas choisi ce endroit déjà un peu fortifié et à un emplacement idéal et avantageux ?

Du "Camp d'Arthur"  nous  retournâmes vers notre  hôtel  pour  le  petit-déjeuner ; 


CHAPITRE XXXV BRENNILIS, BRASPARTS

 

Tôt le lendemain matin, nous avons pris congé de la Veuve Madec pour tourner définitivement le dos à Huelgoat. Un dessinateur, un chasseur ou un minéralogiste pourrait, s'il peut se contenter de l'hébergement rudimentaire, y passer un mois avec plaisir. Tout d'abord, on y trouve une infinie variété de rochers, de bois, de ruisseaux et des personnages pittoresques des deux sexes et de tous âges. Ensuite, il y a des perdrix, des lièvres, des truites, autant qu'on peut le souhaiter, des loups aussi, des cerfs parfois et quelques ours. Pour le géologue et le minéralogiste, il existe de nombreuses sources d'intérêt dans le mines des environs et un assistant volontaire en la personne de l'allemand.

De Huelgoat, il était dans notre intention de marcher jusqu'à Brasparts, une autre petite ville située au milieu des montagnes de Menez-Arès. Comme la route entre ces deux villes est assez peu directe, nous décidâmes d'éviter les routes et de ne prendre pour guide que notre boussole de poche pour nous diriger dans la campagne que nous allions traverser.

Nous voulions néanmoins tracer une ligne droite jusqu'à Brasparts car nous souhaitions passer par le sommet du mont Saint-Michel, point culminant de la chaîne du Menez-Arès et terre la plus haute de Bretagne.

Entre Huelgoat et Coatmocun, la campagne est en grande partie cultivée ; ce ne fut qu'après avoir traversé la grande route près de ce village que nous atteignîmes les montagnes. Dans un champ, à l'extrémité des parties cultivées, nous vîmes un grand menhir, d'une hauteur d'environ vingt huit pieds. Mon compagnon désira en faire un dessin ; et alors que nous étions assis sur un banc sous un mur en pierre qui formait la limite du champ, un paysan s'avança et nous demanda si nous avions réussi à nous arranger par rapport à l'achat du "lutrin". Comme nous étions à une certaine distance de Huelgoat, nous fûmes quelque peu surpris de voir que les nouvelles allaient si vite et que nous avions été reconnus par cet homme que nous n'avions jamais vu auparavant, grâce à la description qui lui avait été faite de nous. Ce n'était pas la première fois que nous nous rendions compte de l'extraordinaire connaissance des gens par rapport à nos mouvements, dans des endroits où nous n'étions encore jamais allés avant. L'apparition d'étrangers dans ces montagnes doit être en soi assez rare pour en faire un sujet de conversation.

Derrière Coatmocun, la campagne était encore plus aride et désolée qu'entre Morlaix et Carhaix. Nous escaladâmes colline après colline ; et la même grande étendue de bruyère brune avec des rochers ici et là s'étendait de tous les côtés. Au sommet de la colline, nous passâmes un autre menhir et peu après arrivâmes au petit hameau de Brennilis ; on peut voir les fins arbres de son cimetière de très loin dans les montagnes nues qui l'entourent ; c'est la seule parcelle de verdure que l'œil peut trouver dans ce paysage sinistre.

Il n'est cependant pas correct d'appeler l'endroit où se trouvent ces arbres un cimetière, ni le bâtiment voisin une église, mais seulement une chapelle! Comme il est étrange de trouver dans un tel endroit un édifice aussi splendide, élégamment orné, de la meilleure période d'architecture gothique ! C'est cependant ainsi qu'est cette chapelle isolée, entourée de ses deux ou trois masures délabrées. Aucune population pour qui cette chapelle a été érigée n'a pu habiter ici ; en toute probabilité, son gracieux clocher et sa jolie nef ont du être élevés en mémoire et expiation' de quelque action, dont le souvenir pesait dans la conscience des dévots qui pensaient ainsi marchander leur place au paradis.

Le fondateur a du pourvoir les fonds nécessaires pour y garder un prêtre et une messe quotidienne ; mais la messe y est rarement dite, excepté parfois par le recteur de Locquefret, paroisse où se situe cette chapelle. La porte était donc fermée ; nous allâmes demander dans les maisons voisines où était gardée la clef. Nous trouvâmes trois femmes assises devant la porte, entrain de tondre un de leur petit mouton noir.

Les moutons blancs sont aussi rares dans le Finistère que les noirs le sont chez nous. Dans les Côtes-du-Nord, les noirs et les blancs sont en nombre égal ; mais dans le Finistère, il n'est pas rare de rencontrer un troupeau sans mouton blanc.

Nous nous adressâmes aux jeunes femmes qui tondaient cette laine noire mais n'obtînmes que des hochements de tête et des réponses en breton. Enfin, nous réussîmes à leur faire comprendre ce que nous voulions par des signes, un ou deux mots en breton de notre part et un ou deux en français d'une des femmes; elle appela un gamin à l'intérieur du sombre taudis et en nous montrant une des maisons qui constituaient le hameau, l'envoya nous accompagner.

L'habitation où nous fûmes conduits fut, je crois, le pire de ce que j'ai vu jusque là. Elle avait eu une fenêtre qui était complètement obstruée. La pièce possédait une énorme cheminée et un énorme tas de saleté pour lit d'un côté et une vache de l'autre.

Cambry dit, en parlant de cette habitude de garder le bétail sous le même toit, qu'il ne sait qui souffre le plus de son voisin. Je n'en doute pas autant que lui, n'ayant jamais expérimenté une étable d'où émane une odeur aussi fétide que ce taudis immonde. Il y avait aussi quelques poules qui occupaient l'endroit et aucun effort n'avait apparemment jamais été fait pour nettoyer les différentes saletés causées par les différents locataires.

La maîtresse de maison, en train de filer, semblait être seule, lorsque notre petit guide lui exposa nos souhaits. Elle se leva sans un mot, puis, prenant une énorme clef du haut d'une sorte de meuble, qui formait avec une table le principal ameublement de la pièce, nous la tendit avec un regard surpris, mais en silence ; nous fûmes sur le point de reprendre de l'air frais lorsque nous entendîmes les gémissements d'un enfant. Sans être capable d'imaginer d'où cela venait, nous fîmes demi-tour et vîmes la mère ouvrir la presse et sortir d'une sorte de tiroir en bas un enfant de deux ou trois ans, sale, sordide, gémissant de manière grincheuse mais contenue et de toute évidence très malade. En nous voyant regarder l'enfant avec intérêt et curiosité, elle le montra et dit "malade", "fièvre". Elle mit un peu d'eau sur ses lèvres et le replaça dans son trou chaud, puant et fermé et referma la porte du meuble.

La Nature ne doit donc pas seulement se battre contre la maladie, sans aide de la science ou du savoir, mais aussi le faire dans des circonstances qui aggravent le mal. Mais certains survivent malgré tout et les gens, enfants comme adultes, ne semblent en aucun cas une population à l'air malade et sous-développée, même si dans le district des montagnes ils ont en général des traits grossiers et une petite taillé.

Nous retournâmes à la chapelle avec la clef et, après avoir tourné la clef dans son immense serrure rouillée non sans difficulté et avoir poussé la porte sur ses gonds avec nos épaules, nous nous retrouvâmes dans ce qui avait dû être un jour un édifice d'une extrême beauté. Il était cependant dans un triste état de délabrement. Le pavement de la partie inférieure de la nef avait été détruit et le toit ne pouvait plus être réparé. La majeure partie des panneaux peints et dorés du toit avaient disparu, les chevrons nus étaient visibles et la couverture qu'ils soutenaient, à beaucoup d'endroits ne protégeait plus du mauvais temps.

Le côté Est n'était pas aussi en ruine. Il en restait assez pour montrer l'incroyable profusion de sculptures, de peintures, de dorures qui avaient été la décoration de l'autel et du petit chœur. Quelques fenêtres peintes étaient encore en place, suffisamment riches et belles pour pouvoir faire encore la fierté de nombreuses  cathédrales;   alors   qu'ici   elles étaient dédaignées et qu'il n'en resterait probablement bientôt rien.

La majeure partie d'un pan en chêne sculpté! Entre le chœur et la nef était également en parfait état. Il y en avait assez pour remplir avec effet une petite librairie, mais il resterait à pourrir ici.

Alors que nous nous apprêtions à partir, nousvîmes une de nos amies tondeuses qui avait profité du  fait que la chapelle était ouverte pour s'y glisser et dire ses prières. Elle était à genoux, près de la porte et ses lèvres bougeaient, mais je me demandai si elle était venue par curiosité ou par dévotion ; j'observai en effet que ses yeux suivaient chacun de nos mouvements. Elle se leva d'un coup quand nous atteignîmes la porte et se précipita dehors, comme si elle avait pensé que nous aurions pu l'enfermer sans scrupule. Après l'avoir vu sortir, nous fermâmes la porte et ramenèrent la clef à la misérable maison de la gardienne.

Je ne pus m'empêcher de penser au magnifique bois sculpté que j'avais vu se délabrer à la chapelle ; Je me décidai donc à aller au village de Locquefret et d'essayer, malgré la loi, de voir si ces "Messieurs de la Fabrique" voudraient me vendre leur sculpture comme l'auraient fait les Huelgoatains avec leur "lutrin".

Nous descendîmes de Brennilis dans une vallée assez basse que, comme d'autres similaires pendant cette journée de marche, nous traversâmes avec attention car on nous avait prévenus des dangereux marécages qui se trouvaient sur notre chemin. Nous parvînmes à notre fin en nous mouillant un peu, puis nous montâmes sur la grande colline devant nous, du haut de laquelle nous pûmes voir Locquefret, dans une large vallée partiellement cultivée. Lorsque nous arrivâmes là-bas, nous nous renseignâmes pour savoir où trouver la maison du recteur. Il n'y avait presque personne parlant le français, mais le mot recteur fut compris tout de suite et nous fûmes dirigés vers une maison à l'air assez confortable, où nous trouvâmes une femme en train de laver le linge dans une pièce du bas

Elle sembla surprise de notre désir de voir le recteur ; mais elle cria quelque chose en breton qui le fit apparaître très vite.

C'était un grand homme mince, le visage couvert de petite vérole, une sale expression retenue désagréable, enveloppé d'une soutane très sale et fumant une petite pipe noire. Il écouta notre demande jusqu'à la fin, appuyé contre la porte de sa maison et répondit, «on ne vend pas les églises ici, ni ce qui les appartient.» L'exposition plus poussée de notre souhait le fit admettre que lui ne verrait aucune objection si le panneau était enlevé ; en fait, il aurait voulu s'en débarrasser car il se trouvait entre lui et l'auditoire lorsque qu'il prêchait occasionnellement à la chapelle. Mais il fallait l'avis des gens de là-bas. Si cependant nous restions jusqu'au mois prochain, il demanderait —quand il irait remplir son devoir là-bas— l'avis de la population, en mentionnant la somme que nous étions prêts à donner afin de voir si elle était prête à se séparer du panneau.

Nous l'avons remercié en lui disant que nous ne pouvions rester à Locquefret pendant un mois et avons pris congé. Comme nous trouvions que son point de vue était proche du nôtre, nous voulûmes faire une tentative auprès des autorités civiles avant d'abandonner notre projet et dans ce but nous nous enquîmes de l'endroit où se trouvait la maison du maire. On nous indiqua une petite boutique qui indiquait aussi "poste aux lettres"; quand nous nous rendîmes compte que le maire tenait aussi un cabaret, nous ouvrîmes les négociations en commandant du pain, du beurre et du cidre. Ceci nous fut apporté par sa fille, qui, en guise de réponse à notre demande de pouvoir lui parler, nous montra un lit clos qui occupait son invariable place près de la cheminée et dit qu'il se trouvait à l'intérieur. Nous avons supposé qu'il était un peu malade mais sa fille nous dit qu'il y était allé pour se reposer un peu après son dîner.

Déranger un maire pendant sa sieste semblait être la pire des choses à faire ; nous nous aventurâmes cependant près du gros meuble, sans succès ; le magistrat dormait profondément, fatigué des travaux de bureau et ronflait fortement en réponse à nos tentatives de le réveiller.

Toutefois, lorsque sa fille parvint à le réveiller, il sauta avec empressement de son lit tout habillé et s'enquit de ce que nous voulions. Sa réponse fut la même que celle du prêtre. Il semblait être perplexe devant notre requête et sur ses motifs; mais dit, qu'en ce qui le concernait, nous pourions avoir tout le bois de la chapelle; mais les gens eux, ne supporteraient pas qu'on touche à un morceau.

C'est ainsi que les bonnes gens de Locquefret profitent encore de leur magnifique panneau, aussi longtemps que le temps et les conditions météorologiques le leur permettront.

Dans l'église d'ici les autels étaient aussi très richement ornés de sculptures, dorées et peintes ; l'église possède deux ou trois vitraux, similaires à ceux de Brennlis en perfection, mais point aussi riches en couleurs.

De Locquefret, nous prîmes une route assez directe vers le mont Saint-Michel-de-Brasparts. Son sommet conique surmontée d'une petite chapelle nous avait guidé pendant la quasi-totalité de notre marche car elle était visible depuis le village de Coatmocun. Après avoir quitté les environs de Locquefret, nous ne vîmes pas la moindre créature pour rompre la totale désolation du paysage que nous traversions. Il n'y avait pas de trace de présence de bétail sur les montagnes . Alors que nous nous approchions de la partie plus élevée de la chaîne, nous vîmes que la plupart des sommets étaient couverts de masses de rochers et de cailloux.

Nous arrivâmes finalement au sommet près de la chapelle dédiée à saint Michel, visible de nombreux endroits du Finistère. Nous montâmes sur le mur de deux ou trois vitraux, similaires à ceux en perfection, mais point aussi riches en pierre qui entourait ce bâtiment pour pouvoir être le plus haut possible et voir la vaste étendue de terre au-dessous de nous. On dit que cette vue est la plus vaste de Bretagne ; mais son intérêt n'est pas proportionnel. C'est très venté et les différents endroits que l'on peut voir sont nombreux, mais on ne peut pas dire que cela forme un beau panorama. En fait, tout ce qu'on peut voir clairement sont les sommets dénudés des montagnes, couverts seulement de bruyère et de rochers, tandis que le pays vraiment beau est trop loin pour avoir une incidence sur la beauté du paysage.

Nous descendîmes de la chapelle de saint Michel par une chemin aussi droit que possible vers Brasparts et réussîmes à trouver une route qui nous fit arriver à cette ville aux environs de six heures.