La célèbre noce de 2000 personnes en mai 1906  à Kerber en Berrien

Le  repas de Kerber .Coté femmes."

.collection personnelle

BERRIEN, sur la colline où se trouve à présent l'usine de kaolin. C'était au printemps de l'année 1906. Je devais cette année-là, faire ma première communion. Je m'appelle Jean-Louis KERIEL et j'ai 82 ans. Un matin, ma sœur Marie-Jeanne qui avait 24 ans, est entrée dans la cuisine et a dit à ma mère qui faisait du "iod kerc'h" (bouillie d'avoine) dans la cheminée:

- Me 20 vont da zimizi (je vais me marier)... Marie-Louise aussi... Avec les frères LE MAITRE de Keriolet en SCRIGNAC. Pierre-Marie, mon promis, a 34 ans, Yves-Marie a 27 ans. Ce sont des hommes sérieux.

- Je le savais a dit mamm. J'ai de bons renseignements sur eux. Tout le monde le savait à Kerber, mais on n'en parlait pas. Mes sœurs n'avaient pas eu besoin de baz valan pour trouver des maris. Ni le tailleur de Coscastel en BERRIEN, ni le meunier du moulin du Squiriou en bas de la colline sur la rivière.

...Et à Kerber tout changea. On se levait plus tôt pour ne pas retarder les travaux des champs. Mes sœurs sont allées à CARHAIX et à MORLAIX pour leur toilette. On m'a payé des souliers. Je ne pouvais aller à la noce en "boutou coat" (sabots de bois). Et mes sœurs sont allées avec leurs fiancés " lakaat an hano" (mettre le nom chez M. le Curé de BERRIEN, M. KERISAC. Les témoins étaient Jean-Louis CHEVANCE de BOLAZEC, François-Marie LE LANN de Kersaux en SCRIGNAC, Joséphine LE DRU et Athanasie QUEMENER de BERRIEN. Ce soir-là beaucoup de voisins sont venus manger le "koan vraz" (grand souper) à Kerber. Il y avait aussi un "trujou col" (un sonneur de bombarde) de BOLAZEC. Puis vers minuit, après avoir bu du "lambic" (eau-de-vie de cidre) les hommes ont entraîné tout le monde pour un "fest noz" (fête de nuit) sur l'aire à battre. On a dansé "Gavott Kerne" (la gavotte de Cornouaille). Ce soir-là j'ai appris les paroles. Je ne les ai pas oubliées depuis.

"Filoména, koanta pennerez

Da vab Jobik a zo dimezet

Disul a vo'n embanno

An deiz se, ar koeffou dantelez

Ag an dilhad voulouz gant perlez

Vo tennet maes ar precho...

(Philomène, la belle.fille unique,

Au fils de Jobic est fiancée

Dimanche les bans seront publiés,

Ce jour-là les coiffes en dentelles

Et les habits de velours brodés de perles

seront "tirés des armoires"...).

C'était en mai 1906, je n'ai pas oublié non plus qu'on guettait le premier chant du " koukougen " (coucou) et que mes sœurs avaient toujours une pièce de deux sous dans la poche de leur tablier. Ça porte bonheur.

Et puis le samedi avant la noce, on commença à préparer le grand festin. Toute la contrée serait invitée, depuis la paroisse de BERRIEN jusqu'à celle de SCRIGNAC en passant par BOLAZEC et HUELGOAT.

-   Ça fera au moins 2.000 personnes, disait "mamm". Comment va-t-on nourrir tout ce monde pendant trois jours? On fit ce que l'on devait faire

-   . Le samedi, le boucher de BERRIEN vint, à Kerber, tuer trois taureaux de 600 kilos chacun. Chez le marchand de vin de SCRIGNAC, on commanda six barriques qu'on rangea dans la grange, j étais chargé de laver les bouteilles et de les remplir. Pendant ce temps des voisins et des voisines allaient, de ferme en ferme, inviter toutes les personnes disponibles pour le mariage de Marie-Jeanne et de Marie-Louise KERIEL. Le dimanche, mon père et des voisins, avec des charrues creusaient des tranchées dans le "liorz" (le pré) pour les repas en plein air. D'un côté, les hommes. De l'autre, les femmes. Il fallait aussi trouver de pleines charretées de planches pour faire les tables et les sièges. Mais ce n'était pas tout. Pour faire la cuisine, il fallait trouver des récipients. A LIORZOU, Beuc'h coat, le Reuniou et ailleurs dans toutes les fermes de la contrée, on emprunta les "podou fer", ces grands pots à pied qui servent en hiver, à faire cuire les betteraves pour les bêtes. Songez qu'il fallait faire de la soupe pour 2.000 personnes. Que de seaux d'eau à faire bouillir. Heureusement que nous avions un bon puits, jamais à sec. Tout le monde était au travail. Les bœufs dépecés allaient, dès le lundi être accommodés en pot-au-feu, en ragoût et en tripes. Le dimanche des jeunes filles étaient descendues avec les brouettes sur la rivière au bas de la colline, pour préparer les tripes.

-   Et le mardi est arrivé. Une heure avant le jour, tout le monde travaillait à la ferme. Mes sœurs et les demoiselles d'honneur, Marie-Jeanne MASSON du Hélas, Marie LE MER, Suzanne BERREHAR, Athanasie QUEMENER, devaient être particulièrement belles. Elles devaient porter la coiffe de cérémonie, la cornette en dentelle (qui ressemble à un hennin couché). Il leur fallait du temps pour se faire belles.

-   Les cloches de l'Eglise de BERRIEN carillonnaient quand nous quittions Kerber. L'Eglise fut trop petite pour recevoir tout le monde, Maman toujours inquiète regardait les cierges brûler devant l'autel, elle disait en quittant l'Eglise: - Les cierges ont bien brûlé. Vous aurez sûrement du bonheur. Puis tout le monde est allé au café. Ensuite nous avons fait la gavotte sur la place du bourg. Les couvreurs qui étaient sur les toits, les maçons sur les murs, sont venus danser eux aussi. Tout le village était en fête.

-   La gavotte terminée, bras-dessus, bras-dessous, on a pris la route de Kerber, ferme qui est à une demi-lieue de BERRIEN. Sur le chemin des charrettes qui descend à la ferme, mes camarades d'école avaient fait "an drezen" (droit de passage) avec une ficelle et des épines. Les mariés payèrent de quelques sous l'autorisation de passer. Dans le " liorz" tout était prêt. Il y avait de bonnes odeurs partout. Après le pot-au-feu, les tripes et le ragoût, on fit " dans ar rost" (la danse du rôti). Mon travail à moi consistait à apporter les bouteilles à table. Nous étions au moins quarante gamins pour ce travail. Les femmes elles, servaient la viande. A la tombée de la nuit, on dansait encore. Quelques hommes, pour se remettre, dormaient "pen-ar-bern colo" (au bout du tas de paille). Le lendemain mercredi après la messe " evid an anaon " (pour les Morts) ce fut encore la fête. Mais les participants étaient moins nombreux et plus calmes. Le jeudi quelques "klasker boed" (chercheurs de nourriture) étaient présents. Les doyens des mendiants dansèrent avec les mariés. Le vendredi, la fête était finie. Mon père aidé d'une quarantaine de voisins, toujours disponibles et point fatigués, sarclaient deux champs de betteraves. Juin arrivait et il fallait songer au foin. Il y a 72 ans de cela, je n'ai rien oublié. C'est comme si cela datait d'hier.

 

Louis Priser mariages  en Bretagne autrefois Editions Libro-sciences spri  1978